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Le coin du cinéphage
8 novembre 2006

UNE VIE DIFFICILE

Il y a des films que l’on désire voir ardemment, et que l’on finit par découvrir tardivement. L’occasion était trop belle pour ne pas aller voir "Una vita difficile / Une vie difficile" de Dino Risi, datant de 1961, et sauf erreur étant sorti tardivement en France en 1976. Il est encore à l’affiche de l’Utopia de Bordeaux au moins jusqu’au 14 novembre, dans une copie parfaitement restaurée. C’est un petit bijou en noir et blanc,  dans la filmographie pourtant brillante de Dino Risi, qualifié justement par les critiques de "moraliste acerbe". On découvre le destin de Silvio Magnozzi – Alberto Sordi dans l’un de ses meilleurs rôles - qui s’occupe d’un journal clandestin dans l’Italie de 1944. Surpris par une attaque des Allemands, il doit fuir et se réfugie dans une petite auberge. Sa propriétaire, une femme mûre particulièrement déplaisante refuse de l’accueillir. Il manque de se faire arrêter par les occupants, mais il doit son salut avec une intervention inattendue d’une belle jeune femme, fille de l’aubergiste Elena Pavinato – éblouissante Léa Massari -. Il file ensuite le parfait amour dans un vieux moulin, avant de l’abandonner pour rejoindre les partisans, pris par le remord de ne pas continuer à faire son devoir. La guerre terminée, il devient un journaliste dans un petit journal d’opposition qui le rémunère très mal. Emporté, il prend prétexte d’un article de son ami Franco Simonini – Franco Fabrizi, figure sympathique du cinéma italien -, pour aller rejoindre Elena et voir ce qu’elle est devenue… Il y a une maestria dans ce film, porté par l’incroyable composition d’Alberto Sordi, au sommet de son art. Il excelle dans un personnage complexe, à la fois révolté et veule, naïf et cynique, il n’hésite pas à aller au bout de son personnage. Même si son personnage est odieux, il finit par devenir touchant. A ses côtés Léa Massari, rayonne, elle doit supporter les humiliations de Silvio qui la rabaisse, en lui disant qu’elle n’a pas de culture, et plus tard, aura des réactions particulièrement odieuses sous l’emprise de la boisson.

Léa Massari & Alberto Sordi

Il faut voir sa réaction quand il apprend qu’elle tombe enceinte, il lui reproche de ne pas avoir fait attention, car pour lui il faut qu’une femme travaille pour subvenir à son avenir. Mais le film n’est pas dénué d’espoir, car Silvio est un rebelle. Il a le choix de se laisser corrompre ou non quand il dévoile un scandale financier. S’il se compromet, il n’aura plus aucun souci d’avenir, même il préfère garder sa dignité. Il est tiraillé entre le désir de sa femme et de sa belle-mère, cette dernière voulant le voir retourner au village au volant d’une belle voiture, ce qu’il finira par faire de manière détournée. Il se bat pour imposer son roman, impubliable s’il ne passe pas entre les ciseaux de la censure. Dino Risi nous propose une radiographie mordante de la société italienne d’après guerre, il est impitoyable avec le fameux miracle économique italien, qui ne profite qu’aux margoulins de tous poils. Il égratigne aussi son propre milieu, à l’instar des apparitions grotesques de Vittorio Gassman, Silvana Mangano et Alessandro Blassetti qui tourne un péplum. Il y a un petit côté chaplinesque chez ce couple, à l’exemple de la scène d’anthologie, un beau sommet de grotesque. En effet des royalistes les invitent à manger… pour ne pas être 13 à tables. Affamés, n’arrivant pas à manger tous les jours, Silvio et Elena ne veulent que manger, alors que la famille richissime appréhende les résultats sur un référendum concernant le futur système d’anthologie. Tout ici est admirable, de la scène de Silvio devant un jury, après avoir repris tardivement des études d’architectes, des petits matins blêmes le lendemain d’une nuit dans un night-club, ou une hilarante scène d’enterrement. Ce film est d’une richesse inouïe, le regard de Dino Risi étant à la fois lucide sur son temps, et tendre sur ce couple bancal mais amoureux. On peut aisément parler de chef d’œuvre avec ce film.

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Commentaires
C
On peut aisément lancer le mot chef d'oeuvre, il est disponible en DVD désormais. Le cinéma italien est pourtant très mal traité sur ce support, de "La terrasse" d'Ettore Scola et "La ragazza" de Comencini, uniquement disponible en VF ! à la mauvaise copie de "L'argent de la vieille". Heureusement il y a une collection en ce moment qui nous livre quelques raretés : "Nos amis réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement" (Scola), "Le cri" (Antonioni), "Il giovedi" (Risi), "Don Cesare di Bazan" (Freda), "Mariti in città" (Comencini), chez M6 Vidéo, un peu chère cependant
P
Je viens de voir ce film et ne peux que confirmer; c'est un véritable chef d'oeuvre.<br /> On passe de la résignation petite bourgeoise "democristiana" à la fausse libération "cocogochiste" dans cet Italie d'après guerre.De la lacheté "sublime" au courage "veule" del signor Sordi himself absolument magistral à la pudibonderie petite bourgeoise de la très bandante Léa Massari ( je suis amoureux d'elle depuis le film de Cavalier "l'insoumis" avec Delon) tout est admirablement rendu. De ces merveilles presques défuntes que j'ignorais et qui font quand meme tressaillir mon vieux coeur de cynique à la couenne boucanée.
I
je trouves l'analyse bonne.
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